Fenêtre sur les Olympiques

©Bernard Brault

Nous y voilà de nouveau. Une nouvelle quinzaine olympique s’amorcera sous peu, cette fois-ci sous les cieux coréens. Nous serons rivés à nos téléviseurs pour regarder la cérémonie d’ouverture qui nous donnera un magnifique portrait de la nation coréenne, puis nous nous accorderons fort probablement quelques petites pauses d’audition lors du long défilé des athlètes.

 

Signe des temps, nous y verrons surement beaucoup de téléphones cellulaires entre les visages des sportifs qui défilent. Puis les deux Corées paraderont ensemble à la gloire du mouvement olympique qui prône, pour cet instant, l’arrêt des guerres. Viendra ensuite le serment des athlètes et officiels jurant de leur intégrité.

 

Les Olympiques se sont approprié le créneau d’être la sommité des épreuves sportives. Impossible de ne pas y jeter un coup d’œil, ne serait qu’un seul instant tant leur omniprésence est acquise. Même les réseaux de télévision, qui normalement relègue les compétions sportives aux heures de faibles écoutes, soit la nuit ou les fins de semaine, font exception et s’y consacrent soudainement presque 24 heures sur 24. Le mouvement est si fort et établi que dorénavant, pour un athlète, gagner les jeux représente la consécration d’une carrière, effaçant les succès précédents lors de courses tout aussi prestigieuses au niveau international.

 

Je suis un « produit » des Jeux. Ma vie a peut-être pris une autre direction quand je les ai gagnés en 1994. Pour le mieux, qui sait ? Mais une chose est certaine, cette compétition n’était pas une finalité dans ma carrière, mais bien une expérience de plus dans le plaisir que j’avais de participer à des courses. Ironiquement, quelques années plus tard, ce sont ces mêmes J.O. qui ont éteint ma flamme de compétiteur. Aujourd’hui, je porte un regard plus critique envers cette compétition. Celui, entre autres, du paradoxe pour un athlète amateur de mener une carrière quasi pieusement et anonymement pendant quatre ans, pour soudainement être parachuté au pays surréel ou les milliards coulent à flots et les stades reluisent, l’espace de deux semaines, de concours.

 

Le financement du sport amateur canadien de haut niveau découle également et en grande partie des performances de nos athlètes aux Jeux. Si les résultats ne sont pas au rendez-vous, les budgets pour ces fédérations perdantes sont drastiquement amputés. Il est quand même ironique que tous nos œufs financiers du sport d’élite soient dans un seul panier olympique.

 

Les cas de dopages minent également la crédibilité des Jeux. Des nageuses est- allemandes à Montréal aux skieurs de fond russes et bioniques à Sotchi, il est déplorable de constater que malgré l’avancement des procédés de détections, les tricheurs ont toujours une longueur d’avance sur les contrôles antidopage. De plus, les suspensions bidon à faible échéance permettent aux coupables, souvent récidivistes, d’être au départ des Jeux en toute impunité.

 

© Bernard Brault

Bien sûr, ces problèmes semblent se trouver à un tout autre niveau, très loin de notre vie quotidienne, mais les répercussions sont aussi palpables et incisives dans notre environnement. Ce désir de performance à tout prix, de visibilité, et certainement d’une forme de « standing » crée des anomalies douteuses dans la façon dont l’accès au sport pour nos enfants et adolescents s’opère. S’amuser à faire du sport devient alors beaucoup trop simpliste, catégoriser les jeunes en groupe de performance devient donc la norme, avec tous les risques de dérapage qui s’y rattache.

 

Est-ce vraiment sain qu’à talent égal, Maxime soit dans un groupe élite alors que Simon se retrouve dans le volet récréatif ? La réponse arrive souvent des années plus tard quand Maxime, au sommet de son art, remise ses équipements sportifs indéfiniment par dégoût et manque criant de plaisir.

 

© Bernard Brault

Certains des plus grands athlètes que j’ai eu la chance de côtoyer n’ont jamais gagné les Olympiques, même si leur feuille de route sportive est exceptionnelle. Il suffit de penser aux skieurs alpins Didier Cuche qui a gagné cinq fois l’épreuve mythique de descente de Kitzbühel, ainsi qu’à Luc Alphand dans la même catégorie ; des athlètes hors normes à la gentillesse légendaire. Sont-ils de moindre envergure, car ils n’ont pas de titre olympique ? Bien sûr que non !

 

Le grand Erik Guay s’inscrit également dans cette catégorie. Ce champion acclamé en Europe et salué de ce côté-ci de l’Atlantique a connu sa part de blessure au cours de sa carrière. Ses multiples retours glorieux sur les podiums sont des exploits tout aussi vénérables que n’importe quelle médaille olympique, tous sports confondus.

Je lui souhaite de tout cœur d’être en santé pour vivre cette Olympiade et bien y performer. Mais peu importe le résultat, il sera toujours ce champion exceptionnel qui a non seulement écrit une page spectaculaire de l’histoire du ski canadien, mais aussi réalisé un exploit que peu d’athlètes de ce calibre parviennent à faire, soit celui d’avoir quatre filles et une famille heureuse et en santé. Quant à cette dernière performance, aucune médaille olympique ne peut la surpasser !

Jean-Luc Brassard4 Posts

Médaillé d’or en ski acrobatique aux JO de Lillehammer en 1994, Jean-Luc Brassard participa à quatre Jeux olympiques et remporta 20 épreuves de Coupes du monde en plus d'amasser 27 médailles d'argent et de bronze. Il est aujourd’hui animateur et présentateur à la télé de Radio-Canada et collabore avec un grand nombre de médias écrits. / The gold medallist in freestyle skiing at the Lillehammer Olympic Games in 1994, Jean-Luc Brassard participated in four Olympic Games and won 20 World Cup events as well as taking 26 silver and bronze medals in that discipline. Today he is a Radio-Canada (CBC French) TV host and presenter and works with a large number of print media.

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