Si vous avez lu mes articles au fil des ans, vous savez ce que je pense des chevreuils. « Oui, bien sûr, mais vous êtes paysagiste », pourriez-vous dire, et vous auriez raison. Un millier de possibilités s’offrent à nous dans la région de Tremblant quant au choix des plantes; toutefois, nous sommes souvent contraints à choisir parmi moins d’une centaine de plantes et parmi celles-ci, il n’y a presque pas d’arbres ou de plantes ligneuses. Mais l’explosion de la population de chevreuils n’a pas pour seul effet de provoquer la colère de la paysagiste que je suis. Anecdote : le New York Timesaffirme que les collisions chevreuils/voitures causent plus de décès aux États-Unis que tous les accidents impliquant des requins, des alligators, des ours et des serpents à sonnettes.

Mais c’est l’organisme Conservation de la nature qui a le mieux résumé la situation dans un article publié en 2013 : « À notre avis, à l’heure actuelle, il n’y a pas plus grande menace pour les habitats forestiers –pire que l’absence de feux, la transformation des habitats et les changements climatiques. Seuls les insectes exotiques envahissants et les maladies provoquent des dégâts d’une ampleur comparable. Quelle menace est la plus importante ? Nous pouvons en débattre, mais aucune personne, qui a eu l’occasion de se promener dans les forêts de l’est du Canada, ne peut nier l’impact des chevreuils sur l’état des forêts. »

La principale préoccupation à Tremblant est la destruction du couvert végétal des sous-bois. Les chevreuils mangent n’importe quoi, y compris les magnifiques viornes et trilles qui fleurissent tôt au printemps… ainsi que toute jeune pousse d’arbre. Vous vous demandez comment il se fait que vous pouvez voir parfaitement à travers les bois à une certaine hauteur ? C’est la ligne d’abroutissement, et ils auront aussi mangé tout le reste.

Quelles en sont les répercussions ? Le déclin des populations d’oiseaux chanteurs en raison de l’absence de la strate intermédiaire des arbres et d’arbustes pour la nidification, et ce n’est que le début. La disparition des colonies interconnectées déjà fragilisées des espèces végétales indigènes. Et, vous vous souvenez du vent de panique qu’ont provoqué les algues bleu-vert et des efforts de revégétalisation des rives qui ont suivi pour ralentir l’érosion et absorber les phosphates ? Très bien… sauf que toute la végétation de sous-bois a disparu. Et les plantes recommandées ? Mortes grignotées, laissant la place à beaucoup d’herbe. Nos belles forêts, un de nos principaux attraits touristiques ? La prochaine génération d’arbres est en train de se faire dévorer.

L’opinion de la Ville de Mont-Tremblant et du ministère chargé de la gestion de la faune est que cette dévastation fait partie d’un cycle naturel. Il est pourtant évident, comme on a pu le constater ailleurs en Amérique du Nord, qu’il ne s’agit pas d’un phénomène naturel. Alors que faire ? Ne jamais nourrir les chevreuils, évidemment. À plus long terme ? Bien que difficile à faire accepter aux groupes de défense des droits des animaux, les meilleurs résultats, et apparemment les plus humains, ont été obtenus en modifiant les pratiques de chasse, notamment en prolongeant la saison de chasse et en émettant plus de permis de chasse au chevreuil femelle.

Ou peut-être pouvons-nous ‘aider’ la nature : un exemple qui illustre bien le broutage excessif des ongulés – et la régénération très rapide de l’environnement une fois leur population contrôlée – est montré dans une vidéo en ligne sur la réintroduction des loups dans le Parc de Yellowstone. Allez la visionner; cela vous fera probablement voir la surpopulation de Bambi sous un autre angle…

De la même auteure : Magasinage thérapeutique (Cliquez sur l’image)