Le ski corporatif

Le ski corporatif

Dans « Come together », les Beatles incitaient la population à se rassembler, et l’impératif britannique s’adresse maintenant aux centres de ski nord-américains. La consolidation d’entreprises – des stations de ski fusionnées pour former de grandes familles corporatives bien financées – est en pleine expansion, et Tremblant en fait partie. Sa récente acquisition aux mains du consortium formé de KSL Capital Partners et Henry Crown & Company (HCC) ne représente qu’une portion d’un vaste tableau de consolidation.

Les deux gros joueurs de la joute corporative, KSL-HCC et Vail Resorts, qui compte 15 stations, évoluent parallèlement, prenant sur leurs ailes des centres de villégiature de renom. Évalué à 1,5 milliard de dollars américains, l’achat d’Intrawest, un forfait incluant Tremblant, fut la première transaction majeure du duo. Plus récemment, Deer Valley, au Utah, s’ajouta au portfolio, aux côtés de Squaw Valley, Alpine Meadows, Mammoth Mountain Ski Area, Snow Summit, Big Bear Mountain et June Mountain en Californie; Steamboat Ski & Resort et Winter Park Resort au Colorado; Blue Mountain Ski Resort en Ontario; Station Mont Tremblant au Québec; Canadian Mountain Holidays en Alberta, Stratton Mountain Resort au Vermont; et Snowshoe Mountain Resort en Virginie-Occidentale.

©Tremblant

Un bref résumé historique aidera à mieux comprendre la tendance actuelle. Une première vague de consolidation frappa d’abord les stations nord-américaines dans les années 1990. Établie à Sunday River, dans l’État du Maine, l’ASC amorça son flot d’acquisitions, récoltant 10 stations en dix ans. Une transaction bénéfique pour les skieurs ; au Vermont, Sugarbush hérita de nouveaux télésièges et d’un nouveau système d’enneigement tandis qu’au Utah, les Canyons firent peau neuve.

Mais à l’aube des années 2000, victime d’un gonflement corporatif auto-infligée et lourdement endettée, la société ne pouvait plus répondre à ses obligations. Les stations furent vendues et l’ASC, forcée de plier bagage. Le style d’union corporative qu’avait envisagée l’ASC ne fonctionnait pas, s’écroulant malgré un essor initial marqué.

Une autre grosse pointure, Intrawest, exploitait déjà plusieurs centres de ski et avait  acquis Tremblant en 1991. En investissant des centaines de millions de dollars dans le développement d’infrastructures sur la montagne et à proximité de celle-ci, Intrawest a lancé la réinvention de Tremblant. La petite station tranquille des Laurentides deviendra dès lors un centre de villégiature de renommée internationale.

Le bilan global : des remontées plus efficaces, des établissements d’hébergement et de restauration améliorés, un domaine skiable offrant du meilleur ski. L’augmentation du nombre de visiteurs contribua à l’épanouissement des entreprises locales. Qui aurait alors osé se plaindre ?

Mais le groupe Intrawest fut à son tour freiné financièrement. « L’apport en capital permit de combler le vide immobilier à la base de la montagne », soutient Roger McCarthy, directeur général de Tremblant à l’époque. « Une opportunité d’affaires unique », dit-il, mais pas viable. Une fois le village piétonnier développé, les revenus découlant de l’immobilier s’affaiblirent. Et bien qu’en 2006, l’arrivée du fonds Fortress accorda une aide financière, l’argent versé s’écoula à son tour.

©Tremblant

Du coup, la feuille de route corporative s’avère plutôt fragile, et le tableau, un peu obscur : des investisseurs cachés derrière un vaste panneau corporatif, prenant d’énormes décisions corporatives. Côté skieurs et planchistes, comment seront perçues la consolidation et l’acquisition d’Intrawest, donc de Tremblant par KSL-HCC ? Une solution miracle pour remédier à ce que certains résidents considèrent comme une décennie marquée par des acquéreurs indifférents ou même carrément négligents ?

« Quand tu regardes de près, tu remarques tous les petits détails », soutient Pierre Goyette, qui skie à Tremblant depuis 20 ans. Selon lui, les remontées ont pris de l’âge et il n’y a pas eu de nouvelle piste depuis 15 ans. Le nombre de skieurs a grimpé mais la cadence n’a pu être soutenue, tant au niveau des remontées que des espaces de restauration – en période occupée, plus de 10 000 skieurs par jour y passent. Et la bouffe n’est pas à la hauteur de celle offerte à d’autres stations. L’avis d’un skieur, certes, mais que partagent plusieurs habitués de la place.

Il est encore trop tôt pour savoir comment les nouveaux proprios aborderont de tels enjeux. Selon Loryn Kasten, porte-parole de Steamboat, aussi gérée par KSL-HCC, l’objectif de la station cette saison est de « s’assurer que les choses demeurent telles qu’elles sont. » Avant d’apporter des changements, les dirigeants devront « se familiariser avec les produits (les stations) et identifier leurs besoins. »

Une démarche lente qui pourrait décevoir certains skieurs en quête d’une solution rapide. Mais Roger McCarthy les invite à garder espoir. Les dirigeants de l’équipe KSL-HCC « ont vraiment le ski à cœur » et maitrisent tant le volet ski que l’aspect financier. « Ils ne cherchent pas à relancer le produit puis à le vendre », mentionne-t-il. Des nouvelles positives pour les skieurs, et M. Goyette se dit même « content que la station appartienne finalement à des gens qui connaissent le ski. »

Un seul souci possible à l’horizon : KSL-HCC regroupera peut-être ses stations sous une bannière corporative à l’identité plus homogène. Kasten souligne néanmoins que « l’accent est mis sur le maintien de l’identité – la vision et le plan stratégique – de chaque station. » Mary McKhann, rédactrice en chef du site The Snow Industry Letter, estime que « les skieurs recherchent l’authenticité, alors offrir des expériences propres à chaque station s’avère très important. »

Reste à voir comment la société mère choisira de répartir son capital. M. McCarthy se souvient des réunions d’Intrawest des années 1990, les comparant à « des concours de beauté » où les gestionnaires de stations défilaient devant les gros bonnets corporatifs dans l’espoir de se faire remarquer et d’obtenir du financement.

Le boom immobilier ayant financé le développement de Tremblant dans les années 1990 semble bel et bien disparu comme modèle d’affaires. Vail Resorts, par exemple, compte davantage sur la vente de centaines de milliers de passes de saison plutôt que sur les transactions immobilières. Le duo KSL-HCC répliquera-t-il avec un concept semblable ? On l’ignore encore, mais on surveille de près la suite des choses.

Peter Oliver9 Posts

Journaliste et éditeur depuis – selon ses dires – bien trop longtemps, Peter verra son travail publié dans de nombreuses publications majeures en Amérique du Nord, notamment en tant qu'auteur prolifique pour Skiing magazine dans les années 1980 et 1990. Il est l'auteur de sept livres sur le ski, le vélo et les voyages outre-mer. Skieur depuis l'âge de sept ans, il est venu skier à Tremblant pour la première fois avec sa famille en 1964. Aujourd'hui, il enseigne le ski de fond à Ole's Cross Country Centre, près de sa maison dans la vallée de la rivière Mad, au Vermont. / Peter Oliver’s work has appeared in numerous major publications in North America, most notably as a prolific writer for Skiing magazine in the 1980s and 1990s. He is the author of seven books on skiing, cycling, and international travel. He has been a skier since the age of seven, and first came to Tremblant on a ski vacation with his family in 1964. Today, he spends more time cross-country skiing than downhill skiing, and teaches cross-country, skate skiing in particular, at Ole’s Cross Country Center near his home in Vermont’s Mad River Valley.

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