Kopiteotak, le dernier Nomade

Kopiteotak, le dernier Nomade. © Guillaume Vincent

Au début du mois de juillet, notre collaborateur Daniel Gauvreau m’a fait part de son désir de présenter à nos lecteurs des membres des Premières Nations vivant dans notre communauté. Une bonne amie nous a alors aiguillé vers Chomis (grand-père) T8aminik (Dominique) Rankin. Nous avons eu la chance de nous entretenir avec lui au bord d’un petit lac paisible. Cette première rencontre en fut une mémorable. Daniel vous la présente ci-après :

L’air matinal est paisible et c’est près d’un petit lac entouré d’une forêt dense que l’ex grand chef algonquin Dominique Rankin nous reçoit. Massif et porteur d’histoire, son visage est empreint de sérénité. Il est d’une volubilité étourdissante, mais la voix est douce et le sourire moqueur. Nous sommes sur ses terres, à La Conception, où il projette d’établir le centre Kina8at Ensemble (prononcé Kinawat), un lieu de ressourcement pour les Premières Nations et culturel pour la population.

Pour se désigner, les Algonquins préfèrent le terme Anicinape (prononcé Anishinabé), qui signifie : « humain vivant en harmonie avec la nature. » Le recensement de 2016 dénombre 40 880 personnes se réclamant de cette ascendance. Ce peuple occupe le territoire depuis 8 000 ans, surtout le long de la rivière des Outaouais jusqu’en Abitibi où, durant l’été, ils se regroupaient afin de profiter de l’abondance de la faune et de la flore.

L’automne venu, ils démontaient leurs tentes pointues et entreprenaient en famille une migration sur leurs territoires de chasse ; ils arrivaient à s’alimenter tout au long de l’hiver avec le gros et le petit gibier. C’était une saison difficile, mais ils faisaient confiance à la nature et prenaient soin de bien gérer les ressources en leur permettant de se reproduire. C’est durant une migration que le chef Dominique est né ; mais de façon exceptionnelle.

L’enfant qu’on entend pleurer de loin  

C’était l’hiver de 1947. Sa mère avait accouché prématurément et sous la tente, elle s’affaiblissait. Son père T8amy (Twamy) qui était à la fois Okima (chef) et homme-médecine, ne pouvait plus rien pour elle. Par hasard, un oiseau de métal passa et les hommes parvinrent à le faire poser sur les dunes du lac glacé.

Pour atteindre l’hôpital, on y plaça la mère, son bébé et une autre femme nécessitant des soins. Après un décollage périlleux, l’avion prit feu et s’écrasa à l’autre extrémité du lac. Accouru en raquettes, T8amy réussit à extirper le pilote inconscient, sa femme, l’enfant et la passagère.

Tous retournèrent aux tentes sauf le père qui avait décidé de garder son fils pendant la nuit dans la forêt. Ce dernier avait probablement les symptômes d’un pneumothorax. Près du feu sacré, T8amy veilla l’enfant toute la nuit. Au lever du soleil, alors qu’une nouvelle vie commence pour les Anicinapek, le bébé respirait normalement.

Pendant leur retour, on entendait les pleurs de l’enfant sur le lac. Sa mère lui donna le nom de Kopiteotak, « l’enfant qu’on entend pleurer de loin ».

Une culture millénaire à nos portes

Comme aime bien le raconter Kopiteotak, « je suis né sur les rives de l’Harricana et j’y ai vécu comme un nomade avec ma famille ». Il est donc l’un des derniers témoins vivants de cette époque du nomadisme à laquelle la colonisation du 20e siècle mit fin. À l’âge de 7 ½ ans, il fut placé dans un pensionnat — une coupure de ses racines : famille, langue, traditions et coutumes. Il y demeura sept ans avant d’en être expulsé. Les robes noires ont changé son prénom du diable en Dominique. Il sourit : « démon est un mot qui n’existe même pas dans ma langue ».

Cette période sombre de sa vie hante ses rêves encore aujourd’hui. Il la raconte dans On nous appelait les SAUVAGES, un livre disponible en français et en anglais coécrit avec sa compagne Marie-Josée Tardif. Mais grâce à un laborieux travail sur lui-même pendant plus d’un demi-siècle et avec le soutien des Aînés, le chef a fait la paix et a trouvé la quiétude.

Kopiteotak, que ses proches surnomment affectueusement Chomis (grand-père), fut choisi par les anciens pour succéder à son père en qualité de chef héréditaire. Après plusieurs années de politique, il a opté pour un rôle de guide spirituel de la culture anicinape. À ce titre, il a rencontré des personnalités comme Nelson Mandela et le Dalaï-lama.

Il s’est aussi rendu à Rome, où il s’est heurté à la bureaucratie vaticane. Mais il affirme avec le sourire : « ce n’est pas à moi de juger l’Église et je n’ai rien à leur demander. C’est plutôt à eux de parler. » Sagement assis devant son lac, Chomis est serein. Il œuvre pour la réconciliation et poursuit son parcours nomade au sein des populations afin de faire découvrir la riche culture millénaire dont il est issu.

kina8at.ca

 

 

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Daniel Gauvreau

 

Daniel Gauvreau80 Posts

Récréologue et journaliste de formation, tour à tour organisateur, formateur, consultant, chroniqueur et traducteur dans le milieu du plein air, Daniel Gauvreau est passionné d’activité physique en extérieur. De retour d’un périple au Québec et en France, il a choisi les Hautes-Laurentides pour satisfaire son amour de la nature. Semi-retraité, moniteur de ski de fond à SFMT, son expérience profite désormais aux lecteurs de Tremblant Express. Recreation professional and journalist by education, organizer, trainer, consultant, columnist and translator about the outdoors by experience, Daniel Gavreau is passionate about physical activity outside. Following a trip through Québec and France, he chose the Hautes-Laurentides as the place to satisfy his love of nature. Semi-retired and teaching cross-country skiing with SFMT, he now offers his experience to Tremblant Express readers.

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