Jean-Guy Brunet : le skieur à la touche magique

Jean-Guy Brunet à La Ronde Expo 67. © Courtoisie

Né en 1939 à Sainte-Agathe-des-Monts, Jean-Guy Brunet est issu d’une famille de cinq enfants (3 garçons et 2 filles). Il chausse les skis pour la première fois à l’âge de 3 ans devant la maison familiale sur la rue Demontigny. Les skis étaient un cadeau de son père Charlemagne et de sa mère Agathe. Sa première descente n’est rien d’autre qu’une petite butte d’à peine 150 m de longueur au beau milieu du village de Sainte- Agathe. Le jeune Jean-Guy devait éviter les maisons et l’achalandage de l’entourage. Cette première sensation de glisse fait germer en lui un talent naturel ; sa touche sur la neige se manifeste rapidement.

Le sport organisé ne faisant pas partie de la culture de la famille Brunet, son ascension vers les hauts sommets du ski est loin d’être traditionnelle. Jean-Guy et ses amis découvrent le plaisir de la vitesse, le sentiment de liberté, et la sensation enivrante de contrôler les skis. Avec eux, il migre progressivement vers les petits centres de ski qui entourent la région de Sainte-Agathe, tels le mont Chevreuil, les Petites Alpes – derrière l’église du village – le mont Foster, qui deviendra plus tard le mont Fugère et le mont Kingston – propriété de Gaston Cloutier et de Gérard Ratelle alias M. Carnaval.

Mais ce qui changera à jamais sa vie, c’est l’invitation de Gaston Cloutier pour une journée au mont Tremblant. Jean-Guy explique qu’après cette journée sur la montagne, il savait que le ski ferait partie de son avenir et qu’il devrait vivre à Mont-Tremblant pour perfectionner son sport. Dès son retour à la maison, il postule pour un travail à la station. Son raisonnement était qu’en travaillant sur place, il aurait accès aux remontées mécaniques pendant ses journées de congé et de plus, il serait logé et nourri. Première possibilité : chasseur au Lodge, mais son anglais n’était pas suffisant pour la clientèle américaine. Deuxième possibilité : patrouilleur, beaucoup plus dans ses cordes et il serait sur les skis toute la journée.

Jean-Guy passe donc l’hiver 56-57 au mont Tremblant et automatiquement attire l’attention des moniteurs de ski et surtout celle d’Ernie McCulloch, directeur de l’école de ski et « king » de la montagne. Tous les jeudis, l’école de ski organisait une descente dans la piste Nansen pour clore la semaine de ski des clients de l’hôtel. « La standard » offrait aux clients la possibilité de se comparer ou de se mesurer à leurs moniteurs. Les patrouilleurs les plus talentueux, comme Jean-Guy, étaient aussi invités à cette compétition amicale pour renforcer la rivalité patrouilleur/moniteur.

Mon premier souvenir de Jean-Guy sur les skis date de ce premier hiver. Mon mentor, Ernie McCulloch, se servait du Flying Mile comme piste d’entraînement pour le slalom. Il m’annonce qu’il a invité un jeune patrouilleur à se joindre à nous. Le tracé est à demi installé quand se pointe sur la section la plus difficile du Mile, un skieur en plein contrôle. Déjà, malgré mon jeune âge, je me dis qu’il ne s’agit pas d’un débutant. Ce skieur inconnu évolue confortablement sur la piste, sa touche instinctive sur les skis est impressionnante, c’est un talent naturel.

L’année suivante, je constate la progression de Jean-Guy. Sa réputation d’excellent skieur provoque de l’intérêt sur la montagne de la part du chef patrouilleur, de l’école de ski et du club de ski. Il est invité à se mesurer aux bons skieurs de la montagne ; Peter Ryan et Dave Jacobs, entre autres. Jean-Guy étant un nouveau venu dans le monde de la compétition, son équipement n’est pas au top. Ses performances ne dépendent que de son talent brut et de son extraordinaire touche. Il participe à des compétitions locales, des courses juniors et même des carnavals et des courses intervillage.

Lors de son troisième hiver au mont Tremblant, Jean-Guy travaille toujours comme patrouilleur, mais son profil de coureur s’impose. Ne faisant partie d’aucune organisation sanctionnée par la FIS ou la CASA (Canadian Amateur Ski Association), il est difficile pour Jean-Guy de s’intégrer au circuit. Les deux frères Cloutier, Rémi et Louis, qui avaient remarqué les qualités physiques et l’habileté naturelle du jeune homme, convainquent les organisateurs de l’association de ski régional d’inviter Jean-Guy à une compétition de descente de groupe C au mont Saint-Sauveur. N’ayant ni points FIS, ni résultats officiels, Jean-Guy se voit assigner un numéro de départ quelque peu désavantageux. Malgré tout, il remporte la descente par 8 secondes ! Son premier résultat officiel est une victoire. Ce résultat le propulse de la classe C à la classe B et lui ouvre la porte au circuit provincial.

Le jeune espoir, présenté par Rémi et Louis Cloutier au maire de Sainte-Agathe-des-Monts, Jean Baron-Lafrenière, obtient la promesse d’un appui total à commencer par une paire de skis de qualité ; des Kastle 220 cm.

À cette époque, les résultats obtenus dans les classiques comme la Kandahar, la Ryan’s Cup, la Adams Mémorial à Orford et les championnats canadiens pouvaient mener à une invitation pour le camp d’entraînement vers la sélection de l’Équipe canadienne olympique. Jean-Guy remporte les championnats canadiens lors de la Adams Mémorial au printemps 1959 et automatiquement, il est invité à s’entraîner dès l’automne dans l’Ouest canadien en prévision de la sélection de l’Équipe canadienne de ski pour les jeux de 1960 à Squaw Valley. Les coureurs invités participent à un entraînement présaison qui consiste en une mise en forme par la course à pied, la levée de poids et surtout, le travail d’endurance. Lorsque les conditions permettent finalement l’entraînement sur neige, ils participent à une formule de compétitions représentant les trois disciplines olympiques soit la descente, le slalom et le slalom géant – le super G ne fera son apparition que dans les années 90. Ils doivent inspirer le comité de sélection par leurs résultats et convaincre qu’ils sont les meilleurs éléments pour représenter le Canada aux Jeux olympiques. Jean-Guy ne cesse de s’améliorer et se taille une place parmi les quatre meilleurs au pays, et ce, dans chacune des disciplines olympiques.

De patrouilleur à olympien

Il n’aura fallu que trois saisons pour que Jean- Guy Brunet passe de patrouilleur à olympien. Pendant les jeux de Squaw Valley, Jean-Guy cimente sa réputation comme étant un leader de l’Équipe canadienne et bâtit sa crédibilité sur la scène internationale. Au retour des jeux, la CASA pouvait compter sur lui pour bâtir l’équipe masculine canadienne de l’avenir avec Vern Anderson de Rossland ; Rodney Hebron de Grousse Mountain et Al Parette de Trail.

En hiver 60-61, je suis recruté par la CASA pour accompagner l’Équipe canadienne de ski sur le circuit européen. C’est la première fois que cette dernière existe en dehors d’une année olympique ou des championnats mondiaux. Tout est nouveau. Nous allons vivre l’expérience des grandes courses classiques. Le départ se fait en novembre et le retour en février pour participer aux championnats canadiens et laisser l’occasion à la relève de se mesurer à l’équipe. Jean-Guy et moi étant les seuls Québécois dans l’équipe, nous devenons cochambreurs. Les budgets étant très limités, chaque membre de l’équipe masculine et féminine devait contribuer au financement de son transport et de ses dépenses globales.

Jean-Guy se trouve du travail en construction routière pendant l’été ; une levée de fonds est organisée à Sainte-Agathe pour aider le jeune champion. La contribution de l’Équipe canadienne se chiffre à 40 000 $ pour les deux équipes. Ceci doit couvrir les salaires des entraîneurs, le logement, les déplacements et la nourriture pour une durée de trois mois. Aujourd’hui encore, Jean-Guy et moi nous souvenons des hôtels de moins de trois étoiles toujours éloignés du centre de ski, des wagons de trains en compagnie des animaux de la ferme et des Coca-Cola que nous partagions. Mais malgré ces circonstances, l’expérience de l’entraînement et de la compétition en Europe en valait la peine.

Jean-Guy Brunet – Ortisè, Italie. ©Courtoisie

Un parcours remarquable

Jean-Guy a contribué grandement à l’épanouissement de l’Équipe canadienne. Ses performances aux championnats canadiens avaient un effet d’entraînement chez nous, les plus jeunes. Pour rappel : 2e en descente et 2e en combiné en 1959 ; 1er en slalom en 1961 ; 1er en descente et 1er en slalom géant en 1962 ; 1er en descente en 1963 ; 1er en descente et 1er en combiné en 1964. Il participera aussi aux Championnats du monde à Chamonix en 1962 et aux Jeux olympiques en 1964.

À la fin de l’hiver 1964, Jean-Guy Brunet prend sa retraite de la compétition. Il devient entraîneur pour la Southern Ontario Ski Division et passe une saison à Collingwood. En 1988, il fut intronisé au Temple de la renommée du ski des Laurentides et au Temple de la renommée du ski canadien en 1999. Deux évènements importants pour un ancien athlète.

Il revient au Québec et assume les responsabilités d’entraîneur pour la zone de ski des Laurentides où il demeurera pendant sept ans. Il a contribué à la formation de jeunes athlètes qui se sont illustrés plus tard dans l’Équipe canadienne de ski alpin, à savoir : Diane Culver ; Michael Culver ; Karen Cloutier ; Russell Goodman ; Gary Goodman ; Peter Goodman et Alain Cousineau.

Parallèlement à sa pratique du ski en hiver, Jean-Guy est un athlète habile en ski nautique. Ses amis, les frères Rémi et Marc Cloutier, organisent un spectacle de ski nautique qui sera présenté à La Ronde à l’occasion de l’Expo 67. Ils invitent Jean-Guy à les rejoindre. Ce spectacle sera applaudi par des milliers de spectateurs d’avril à octobre 1967.

Après cet intermède, il sera pendant 25 ans représentant pour la compagnie Harvey Dodds, devenue depuis, Gilmour Sports.

Jean-Guy Brunet demeure pour moi un des skieurs les plus talentueux que j’ai connu. Les équipes autrichiennes, suisses et françaises de l’époque reconnaissaient sa touche magique. Mais mieux encore pour moi, Jean-Guy est un ami qui est arrivé par le ski et un ami qui va le rester pour la vie.

 

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Peter Duncan

 

Peter Duncan121 Posts

Membre de l’équipe canadienne de ski alpin de 1960 à 1971, skieur professionnel de 1971 à 1979 et champion américain en 1965, Peter Duncan a participé aux Jeux olympiques de 1964 à Innsbruck ainsi qu’à ceux de 1968 à Grenoble. Intronisé au Temple de la renommée du ski au Canada, au Panthéon des sports du Québec et récipiendaire de la médaille du gouverneur général, Peter a longtemps été commentateur de ski à la télévision./ Peter Duncan is a Canadian former alpine skier who competed in the 1964 and the 1968 Winter Olympics. He was named to the Canadian National Alpine Team in 1960 at the age of 16 and competed at the national level for the next 10-years until 1970 before retiring.

Michel Normandeau

Connor O’Brien

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