À la manière de Tony O’Keeffe

©Tremblant Express

Cette nuit-là, je n’ai pas cessé de me retourner dans mon lit en pensant à ma séance d’entraînement du lendemain matin. La lumière rouge sur le répondeur clignotait ; il y avait un court message : « 6 h, samedi, Mac’s Milk – ne soyez pas en retard. » J’allais finalement pédaler aux côtés du légendaire coureur cycliste Jose Martins; je n’ai pas fermé l’œil de la nuit.

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Venant tout juste de remporter une médaille d’or aux Jeux d’été en Colombie-Britannique, Jose était un redoutable compétiteur à vélo. Réputé pour son intensité exacerbée, il s’était battu farouchement pour imposer sa volonté. Il prenait grand plaisir à « détruire » les jambes de tous ceux qui voulaient bien l’accompagner sur un parcours. Impertinent, brusque, confiant – ses qualités – José était connu pour son penchant à éteindre tout sentiment de camaraderie dans un groupe de cyclistes. Mon coach s’était entraîné avec Jose et voulait que j’en fasse autant. Je voyais Jose presque tous les jours au gymnase de la base où je nageais. C’est à peine s’il remarquait ma présence.

Je me suis rendu au Mac’s Milk 10 minutes plus tôt que prévu et je me tenais debout à côté de mon vélo, prêt pour ma rencontre avec Jose. Il est arrivé à l’heure. Alors qu’il s’approchait, je me préparais à me présenter et croyais que nous allions bavarder un peu. Il n’a pas ralenti. Au lieu de cela, il est passé en coup de vent et m’a presque roulé sur le pied. Que Diable! J’ai sauté sur mon vélo et me suis efforcé de le rattraper. Je l’ai pourchassé un moment, convaincu qu’il finirait par me laisser le rejoindre. Pas du tout. Je n’ai jamais réussi à me rapprocher de lui de la journée. Il s’est de plus en plus éloigné de moi pour finalement disparaître à l’horizon. J’ai fait la boucle de 70 km en solo. Nous n’avons jamais échangé un seul mot.

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Le jeudi soir suivant, alors que je rentrais à la maison, j’ai aperçu la lumière rouge du répondeur qui clignotait. « 6 h, samedi, Mac’s Milk – ne soyez pas en retard. » Le culot de ce type, me suis-je dit. Comme je voulais gagner son respect, je suis arrivé tôt, restant cette fois-ci assis sur ma selle, faisant du surplace, en attendant l’engin qui était en route. Jose est apparu pile à l’heure et a continué sa route sans s’arrêter. Je me suis précipité derrière lui et j’ai rapidement réussi à me coller à sa roue, puis je me suis cramponné désespérément. Nous roulions à grande vitesse tous deux au même rythme sur une même ligne. Je fixais sa roue arrière et je refusais de le laisser s’éloigner de plus de six pouces. Vingt minutes après notre départ, j’ai entendu des sifflements provenant de ma roue arrière et j’ai su que j’avais un problème mécanique. J’ai crié « Hé mec, j’ai fait une crevaison », et je me suis rangé sur le côté pour changer le pneu. J’ai levé les yeux et j’ai vu Jose s’éloigner et disparaître à l’horizon. Il se moque de moi, ai-je pensé. Un autre parcours à vélo avec Jose – sans Jose. Je commençais vraiment à ne pas aimer ce type.

Ma première rencontre avec Jose Martins avait eu lieu quelques années auparavant lors d’une formation militaire de base des officiers – camp d’entraînement. J’étais une recrue et il était instructeur d’éducation physique. Il se tenait devant notre peloton, les mains sur les hanches. Ses jambes, rasées de près, étaient très musclées. Et pas une once de graisse sur son corps. Il arborait systématiquement un sourire narquois aux dents blanches, mais on a réalisé rapidement qu’il n’était pas plus agréable pour autant.

Je me suis rendu au Mac’s Milk le samedi suivant, et beaucoup d’autres samedis après cela. Il m’a torturé pendant plusieurs années, mais j’ai bénéficié de cette expérience. J’ose croire que, quelque part au cours de ces parcours douloureux sur de nombreux kilomètres, j’ai gagné le respect de Jose, bien qu’il ne l’ait jamais dit. Mieux encore, je suis devenu l’athlète et le coureur que j’avais toujours respecté et pour cela, je lève mon chapeau à ce cycliste devenu mon mentor. Plus de vingt ans se sont écoulés et j’ai perdu contact avec Jose. Récemment, et à ma grande surprise, j’ai vu qu’un ‘Jose Martins’ avait ouvert un compte Facebook. Je devais savoir : « Hé confrère, ai-je écrit, est-ce vraiment toi? – Ça fait trop longtemps! » Sa réponse : « Ouais. Qu’est-ce que tu veux? » J’adore ce mec.

Tony O'Keeffe39 Posts

Tony O’Keeffe a réalisé son lot de défis sportifs. Détenteur des titres de champion du monde dans sa catégorie d’âge du Ironman 70.3 et du Ultraman Kona Hawaï, il a complété plus de 30 Ironman avec multiples podiums et six premières places dans sa catégorie d’âge, neuf Championnats du monde Ultraman en plus de trois RAAM (Race Across America). / Tony O’Keeffe has succeeded at more than his share of sports challenges. Holder of World Championship titles for his age category in Ironman 70.3 and Ultraman Kona Hawaii, he has completed more than 30 Ironman events with multiple podium finishes and six first places in his age category, nine World Ultraman Championships as well as three RAAM (Race Across America) events.

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